Histoire et patrimoine
Histoire et patrimoine
Histoire du Val d'Arac - La vallée perdue
Même si la remontée des gorges de l’Arac, sur plus de dix kilomètres, de Kercabanac à Nabeos, ne présente, de nos jours, aucune difficulté majeure, ce parcours surprend le touriste, conscient de ce que fut jadis l’isolement de la Haute Vallée.
Rares sont les autochtones, usagers quotidiens de la D 618 (ancienne « Route des Pyrénées »), à savoir que ce chemin, dont les puissants murs de pierre surplombent un torrent capricieux, est une création relativement récente qui, rompant en 1832, l’isolement de ce vaste territoire, lui a donné sa physionomie familière.
Avant l’accomplissement de cet énorme chantier, pour venir vers nous depuis l’Ouest, le voyageur après s’être acquitté d’un péage féodal sur le pont de Lacour, cheminé par Alos et La Soumère, franchissait un gué aléatoire à Soueix sur le Salat et, passé le Goulet d’Aleu, découvrait enfin cette ancienne vallée glacière, longtemps isolée et sauvage, puisque parallèle à la grande chaine Pyrénéenne, sans ouverture sur les flux migratoires habituels.
Même si subsistent, dans les cavernes du Ker, quelques vestiges d’habitats paléolithiques, vieux de près de quinze mille ans, ce n’est pas dans ces populations nomades de chasseurs-cueilleurs que nous pouvons chercher nos antériorités génétiques. En réalité le peuplement de la vallée de l’Arac est beaucoup plus récent (Haut Moyen Age) qui s’explique par l’isolement naturel du site, la texture forestière très dense et un climat particulièrement rigoureux.
Longtemps, la vallée resta vierge de tout habitat et son histoire d’alors ne peut s’argumenter sur aucun vestige archéologique avéré, ni sur aucune archive.
La première de nos originalités reste, qu’en dépit de tous les conformismes intellectuels des « historiens » locaux du XXème siècle, on ne voit l’homme, qui, c’est bien connu, ne serait rien sans femme, s’installer ici qu’au tout début du Moyen Age.
Il y a donc un peu plus de mille ans, ce qui est déjà une longue histoire toute pleine de bruits et de fureurs, de joies et de souffrances, dont nous essayerons de conter les détails au fil des parutions de la page Histoire du présent opus.
Malgré les énormes difficultés physiques évoquées antérieurement, c’est de l’ouest qu’arrivèrent les premiers habitants sédentaires, probablement au milieu du XIème siècle.
Nous ne disposons à cet égard que d’une archive précise, quoique indirecte. En 1146, en effet, fut réitéré (affirmé ou renouvelé) l’hommage que les habitants de la vallée de Massat portèrent à leur Seigneur, Odet de Lomagne, un siècle plus tôt lors de ce que l’on peut raisonnablement considérer comme l’acte fondateur de la communauté.
L’analyse littérale et contextuelle de ce document, conservé aux Archives Nationales permet de comprendre que le peuplement d’origine, à l’époque de la conclusion de la charte, fut un peuplement de colonisation. Il s’agissait alors pour les grands propriétaires féodaux des lieux (qui n’y avaient sans doute jamais mis les pieds) de mettre en valeur ce territoire tout en exportant une partie de la population en surnombre dans sa région d’origine, la Lomagne, une partie de l’actuel Département du Gers. Ce sont ces quelques vingt familles de migrants, plus ou moins volontaires, qui constituent la population originelle de la vallée.
Conformément aux habitudes et au droit coutumier dans la société féodale l’engagement hiérarchique du seigneur a l’égard de ses affidés est loin d’être paritaire. La famille de Lomagne, par la suite ses successeurs, s’arrogent l’entière propriété des sols concédant à chaque famille des lots modestes d’exploitation et un ensemble de droits d’usage sur la propriété seigneuriale : Droits d’eau (29 Moulins) Vaine pâture (accès libre aux pâturages de montagne) affouage (récolte de certains bois d’œuvre et de chauffage dans les forets seigneuriales).
Ces libéralités, plus ou moins bien définies seront l’objet de multiples réclamations en justice au point que l’on dénombre autour du thème près de soixante-dix procès devant le Parlement de Toulouse contestant ces « droits » ou du moins leur exercice avant leur abrogation par la Révolution.
Ainsi s’organisait le défrichement, et la mise en valeur de la Haute vallée de l’Arac dont l’intérêt apparut très vite plus industriel qu’agricole.
L’abondance et la qualité des boisements originels de hêtre constituaient une réserve considérable d’énergie avec la production abondante d’un excellent charbon de bois destiné a la fonte d’un minerai de fer extrait sur place ou importé, à dos de mulet, pour le fonctionnement des forges catalanes gérées par cinq grandes familles « bourgeoises » dont la minutieuse comptabilité constitue unes précieuse archive économique et sociale.
Dés la fin du XIIème siècle on peut considérer que les deux tiers de la population œuvrent pour l’industrie du fer, soit pour fondre et transformer le métal, soit pour produire le charbon de bois, énergie incontournable de sa conformation.
Les résultats d’exploitation, loin de couvrir les besoins d’une population en croissance exponentielle (22000 Habitants dans les quatre communes actuelles en 1805) profitèrent avant tout au système féodal. Les grandes familles suzeraines n’ayant jamais résidé sur place ni même à proximité, avaient délégué l’exercice de leurs droits, objectivement exorbitants, aux chanoines du chapitre de Massat.
Les susdits abusèrent tant de ces prébendes, ne dit-on pas « gras comme un chanoine », qu’ils réussirent à concentrer contre leurs tristes personnes la fureur révolutionnaire de l’été 1789.
Le troisième tiers reste une population agricole dont les productions vivrières nourrissent chichement, les premiers. Il faudra attendre les années 1850 pour qu’une part de la production agricole (pommes de terre, chanvre et produits laitiers) soit exportée. Dans le même temps s’amorce l’inexorable processus d’exode rural.
De ce contexte économique singulier, quasi autarcique, on peut tirer quelques enseignements sur la sociologie, jugée originale, de nos compatriotes.
La vallée de l’Arac, avant de se présenter comme un terroir rural pyrénéen traditionnel est d’abord, et de très longue histoire, une vallée industrielle. Ses habitants, plus ou moins consciemment, conservent une culture plus ouvriériste que paysanne, des études de Science Politique mettent en évidence la corrélation entre ce fonds culturel prolétarien et l’expression revendicatrice constante d’une majorité des scrutins locaux.
Si le pays massatois a durant huit siècles construit son identité culturelle autour des articulations économiques, politiques et sociales déjà brièvement évoquées, c’est durant la Révolution Française et a travers la mise en place de l’État-Nation qu’il est entré dans « l’ère moderne ».
En premier paradoxe on notera que l’abolition des droits féodaux, si contestés par la communauté des habitants de Massat, ne leur a pas profité ; bien au contraire.
La Révolution bourgeoise a, via le Code Civil, sacralisé le droit de propriété que n’atténue aucun des droits d’usage arrachées de haute lutte aux seigneurs féodaux. Confisqués aux Comtes De Sabran, parce qu’émigrés, les anciens biens des seigneurs seront vendus a des bourgeois qui prétendront y exercer la plénitude des droits définis par le Code précité.
Les paysans perdant ainsi une partie conséquente de leur moyen de survivre voient leur précarité s’accroitre au moment même ou un nouveau procédé technique permettant la fonte du fer grâce au charbon de houille rend caduque l’exploitation des forges à la Catalane. Ce secteur industriel essentiel a la vie de la vallée périclite totalement en quinze ans entrainant vers 1830 l’émigration d’environ deux tiers de la population.
Exsangue, replié sur lui-même, le pays massatois entre dans une longue léthargie, ponctuée de multiples drames (épidémies, catastrophes naturelles, guerres…).
Quatre générations plus loin, savourant le plaisir d’aimer cette terre et de la féconder, nous nous inscrivons naturellement dans la complexité et les vicissitudes de cette longue histoire.
Nous essayerons, au fil des pages, grâce a la complicité de vos mémoires, en toute objectivité, de comprendre la culture originale et attachante de cette belle vallée.
Léon Pierre Galy-Gasparrou